چهارشنبه ۱۷ خرداد ۱۴۰۲

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قال یا حال

Qaal ou Haal


(dire ou jouir)


نویسنده: میترا کدیور

Qaal ou Haal [1]

(dire ou jouir)

Mitra Kadivar [2]

 

  Prendre la parole dans un congrès de psychanalyse est un acte vraiment étrange. Quoi, on se suppose savoir ? Les organisateurs du congrès vous ont aimablement élu, pour quelques minutes, comme sujet supposé savoir. Vous n’allez quand même pas y croire un instant ! Quand vos analysants vous mettent à la place du sujet supposé savoir, vous êtes tranquilles, vous ne dites rien. Mais les organisateurs du congrès ne sont pas des écoliers. Ils vous disent vous êtes sujet supposé savoir, pour quelques minutes, dites quelque chose. Alors là, je vous le demande, si ce n’est pas un jeu c’est quoi ? Allons-y, jouons au jeu, for the hell of it.

 

  Heureusement il y a un sujet qui est fait exprès pour faire la supposition du savoir partout, non seulement chez l’Autre – élémentaire ! – mais en plus, chez lui-même. Vous ne pouvez pas le guérir de cette supposition. Il ne palpite que pour ça. Je parle de l’inconscient et je lui donne la parole.

 

  Il y a quelques mois, dans une soirée bien charmante et très gaie à Paris, une question m’a été posée par une personne éminente : « alors en Iran, il n’y a pas d’hybrides, les femmes sont des femmes et les hommes sont des hommes, à cause de la ségrégation ? » Moi, j’ai été plutôt stupéfaite. Je ne comprenais rien. Est-ce qu’on avait fait un hybride homme-femme en France, par des manipulations génétiques ? Mais non, il y avait la phrase « à cause de la ségrégation ». Mais alors qu’est-ce que voulait dire le mot hybride ?

 

  À vrai dire, j’ai été étonnée et vexée en même temps.

 

   Étonnée, parce que je ne comprenais pas pour quelle raison l’Iran devait faire exception à la règle générale. D’autant plus que je pouvais jurer que la chère personne n’avait rencontré qu’un seul spécimen des êtres sexués de ce pays, moi précisément.

 

   Vexée, parce que si elle a trouvé que le seul spécimen, en face d’elle, n’était pas complètement un hybride, pourquoi l’avoir mis sur le compte de la ségrégation et avoir ainsi cru à la réussite de la volonté du maître et supposé l’échec des efforts des femmes, en Iran, pour obtenir leurs droits civils ? Car obtenir l’égalité des droits des deux sexes est une cause qui vaut la peine de se battre pour elle, même si à la fin on n’a que des hybrides. J’ai même insisté sur le fait que pour moi, le mot hybride n’avait d’autre sens que génétique.

 

   Je me suis rapidement débarrassée de ma vexation en répondant qu’il n’y avait pas une telle ségrégation en Iran (sous-entendu : à même de créer autre chose que des hybrides). Mais l’étonnement persistait, précisément parce que la question venait d’une personne éminente.

 

   Est-ce qu’elle a su, est-ce qu’elle l’a vu, ce que je cachais si soigneusement?

 

   C’est pourquoi quand à la fin de cette soirée j’ai été invitée, très aimablement, à ce congrès, j’ai accepté sans hésitation et avec beaucoup de joie. Pour moi, c’était une occasion d’en savoir plus, de résoudre, peut-être, l’énigme de sphinx. (Au beau milieu de toutes ces pensées « sérieuses », une plaisanterie était survenue : en Iran, on dit qu’il y a seulement dix pour cent des hommes qui sont vraiment hommes, les autres sont mariés).

 

   Et puis, après la première joie, un résidu persistait. C’était le souvenir d’un agacement. Un agacement très passager, mais assez substantiel pour résister à l’oubli. Je l’ai « tracé » et je suis arrivée à une « injonction surmoïque » : « que les femmes soient des femmes ! ». C’était le mot d’ordre des années d’enfance de la République islamique. Par là, on voulait dire que les femmes restent à la maison pour rendre « les trois services essentiels » aux hommes : sexe, enfanter, faire la cuisine. En plus on prétendait que cette exigence était pour le bien des femmes, pour les libérer des obligations qui leur étaient imposées par le régime précédent. Il y avait du vrai dans cette prétention, parce que dans l’ancien régime aussi on imposait « que les femmes soient des femmes » ; seule leur définition de la femme était différente. Eux, ils exigeaient que les femmes soient coquettes, désirables et faciles d’accès. (Je me demande comment ils voulaient rassembler ces deux dernières conditions en même temps : désirable et facile d’accès ? Mais ça c’était leur problème).

 

  Ce qui veut dire que pour les femmes, rien ne change jamais dans les différents régimes politiques. Eux, ils ont toujours leur programme pour elles. Ca dépend de leur fantasme. Tantôt c’est la mère vierge, tantôt c’est la prostituée. (Je pense que Freud a parlé d’une troisième catégorie, mais bien étrangement je ne m’en souviens pas ![۳]). Ces deux exemples à eux seuls montrent à quel point les femmes sont des casse-têtes pour les hommes (ou même peut-être des casse-pieds !). Les casse-têtes qu’ils veulent résoudre par leur fantasme, en plus. Quel moyen inadéquat pour résoudre une énigme!

 

  C’est peut-être pour ça que Lacan parle du symptôme. Non seulement une femme peut être le symptôme particulier d’un homme, mais en plus, les femmes sont le symptôme par excellence de l’humanité ; de la même façon que pour le névrosé, son symptôme est une énigme et son mode spécifique de jouir, mais en plus, « pour beaucoup d’entre eux, ce qu’il y a de plus réel ». Lacan a comparé « La femme » avec la vérité. Peut-on la comparer avec le réel ? Lui-même a dit que la vérité était sœur de jouissance. Lacan nous parle aussi d’une jouissance infinie, la jouissance de la femme. « La femme » est définie par cette jouissance. Elle est cette jouissance même. Donc elle est de l’ordre du réel, si elle existait. Et les hommes n’y sont pour rien, dans cette jouissance. Ça doit les atteindre cruellement dans leur narcissisme. Pour eux, les femmes sont leur symptôme par excellence. Pour « La femme », si elle existait, les hommes n’existent pas, et tout le monde masculin avec. Quelle discordance énorme dans la Nature ! J’insiste sur le mot « Nature », parce que ce qui est de l’ordre de la culture s’arrête à ces programmes dérisoires dont j’ai déjà parlé.

 

  Je tiens à rappeler que, pour Edward Glover, quand le symptôme essentiel d’un homme est une femme, il est pratiquement inanalysable.

 

  Mais quelque chose de la femme, de cette jouissance infinie, existe de temps en temps. Lacan nous a donné l’exemple des mystiques. Et aussi, à un moment du parcours analytique d’une femme (ou même d’un homme peut-être), quelque chose de la femme apparaît parfois, ne serait-ce que pour un court moment. Bien sûr, le transfert est là pour gâcher tout. Le transfert qui a sa source dans la libido qui n’est que masculine, nous apprend Freud. Le transfert à l’analyste, à Freud, à Lacan, à des institutions analytiques, qui, comme toute institution, ne sont que des symptômes créés par la position masculine de l’existence humaine. On dirait qu’ici la formule de l’injonction est inversée : « que la femme ne soit pas la femme, le travail l’attend, la cause l’appelle!».

 

   Pourtant, ce quelque chose de la femme ne disparaît pas pour autant. De temps à autre, quand vous arrêtez le travail pour ce qui s’appelle étrangement les vacances (le vide), ou quand tard dans la nuit où les agitations masculines s’arrêtent, où le démon de la ville s’endort et toute la famille avec, ce quelque chose de la femme se réveille. Elle était toujours là, vous attendant. Elle sait attendre. C’est même seulement elle qui sache attendre. Elle vous accueille, elle vous renferme, elle pourrait même vous engloutir. Mais non, le monde est tellement agité. Elle vous laisse repartir. Elle sait attendre.

 

   La personne qui m’a posé la question par laquelle j’ai commencé était une femme. Peut-être elle a vu ce quelque chose de la femme, qui attend, quelque part. Pour une femme ce n’est pas difficile de la voir dans un coin ; surtout quand elle a fait, elle-même, ce fameux parcours analytique.

 

   Pour qu’il y ait de la chance qu’à un moment donné du parcours analytique ce quelque chose de la femme apparaisse, il faut faire un vide, un très grand vide. Il y a des sagesses orientales qui le connaissent, ce grand vide, qui le préconisent, et qui même vous apprennent à passer toute une vie à l’acquérir.

 

   Un jour, j’ai parlé à mon analyste de mon étonnement concernant les gens qui peuvent se rappeler les détails minutieux de leur analyse et en parler. Il m’a informée que ceux qui préparent la passe prennent des notes sur des choses qui leur paraissent importantes dans leur analyse. J’ai répondu que ça n’était pas bien et que je pensais que, comme on dit dans les soldes, tout devait disparaître [4]. Je savais de quoi je parlais sans le savoir vraiment. Certes, je connaissais bien le concept du « Grand Vide » oriental, mais de l’avoir avancé pour mettre en question la préparation de la passe ! Là c’était énorme. Mais ce n’était pas moi qui l’ai avancé, c’était ce quelque chose de la femme qui savait bien ce qui conviendrait à son apparition.

 

   Lacan, en parlant de la jouissance de la femme, dit qu’elle l’éprouve mais qu’elle n’en dit rien. Peut-être parce que si elle commence à dire, elle ne l’éprouve plus. Essayer d’en dire est de la sacrifier pour… ce qui est loin d’être comparable à elle.

 

  Aussi quand on atteint cette jouissance il n’existe plus personne à qui parler, pour qui on se donne la peine d’ouvrir la bouche. Lacan parle du « narcissisme du désir». Qui à part Lacan, peut oser une telle syntaxe ?

 

  Vous pouvez toujours protester que les mystiques parlent souvent de ce qu’ils éprouvent. Oui, c’est vrai, parce que c’est une jouissance intermittente ; ou, plutôt, c’est un désir dont le narcissisme est intermittent. Même ici c’est le concept de la résistance qui nous permet de clarifier les choses. Car le « continent noir» de Freud est de l’ordre du « trou noir » des astrophysiciens. Si on y cède, on y disparaît complètement. En y résistant, on devient dupe de la bonne façon. Et ça ce n’est possible que par le truc du transfert. Le grand Sa’di dit « De qui a eu la Nouvelle, plus de nouvelles » (Aan raa ke’ khabar chod khabari baaz nayamad).

 

  Et Sa’di n’était pas du tout un mystique, bien qu’il est enseigné dans les cercles des sufis et des derviches. C’est-à-dire que les mystiques ont encore à apprendre des non-mystiques. Ce qui veut dire qu’il y a des voies multiples pour arriver à la même jouissance, à la Nouvelle.

 

  En plus cette jouissance est l’ennemi du savoir, ou plutôt le savoir est l’ennemi de cette jouissance. On doit dépasser le plan du savoir, le laisser absolument du côté, pour atteindre cette jouissance. Ce qui veut dire une fois cette jouissance atteinte on n’a plus rien à dire. Tout ce qui constitue l’ordre du savoir avait été jeté loin, préalablement. Alors non seulement il n’existe plus personne à qui parler, mais en plus, il ne reste plus rien à dire. Comme la jouissance est intermittente le savoir le devient aussi. C’est-à-dire que pendant les répits vous pouvez récupérer le savoir ainsi mis au rancart. Pourtant les jolies constructions logiques deviennent de plus en plus difficiles, même, impossibles. Le savoir est éclaté et éparpillé, le ciment qui tenait les fragments ensemble manque.

 

  Les sufis ont un verdict : le Qaal  (le dire) anéantit le Haal  (le jouir) et vice-versa. Ils le disent contre les prêtres. Puisque tous les deux – le prêtre et le sufi – pratiquent l’adoration de Dieu. Mais l’un est dans le Qaal et l’autre est dans le Haal. Pour l’un Dieu est bon – ou méchant – pour l’autre il est beau.

 

  Bien étrangement la seule chose, dans ce monde, qui soit compatible avec la jouissance dont je parle est le Beau. Le Beau à l’état pur, sans égard pour l’objet qui le soutient ; l’Art et la Nature, la « Création ». Le grand Mowlavi [5], pour la célébration de qui l’an 2007 avait été nommé à son nom par l’unesco, dit : « Je suis serf de la lune, ne me parle de rien que de la lune » (Man gholame’ qamaram gheire’ camar hitch magoy).

 

  En ce qui concerne mon cas, j’ai une petite idée là-dessus. Si mon analyse m’a conduite à éprouver l’antinomie du Qaal et du Haal, si elle ne s’est pas enlisée dans le gouffre des signifiants, c’est peut-être parce qu’en plus du désir de mon analyste il y a eu le fait qu’elle s’est déroulée dans une langue qui était étrangère, aussi bien à l’analyste qu’à l’analysante. Ainsi la langue n’a pas pu parasiter éternellement le réel.

 

   Pour finir je cite encore mon vénéré Ferdowsi : « Deux cents dires ne valent pas un demi faire » (Do sad gofte’ tchone nim kerdar nist).

 

 

[۱]. Communication présentée au viiie Congrès de la NLS «Femme, fille, mère au xxie siècle», ۲۶-۲۷ juin 2010, Genève.

[۲]. Mitra Kadivar est psychanalyste à Téhéran et membre de l’École de la Cause freudienne.

[۳]. Plus tard je me suis, bien sûr, rappelé des trois catégories de Freud qui sont « mère, vierge et  prostituée», mais j’ai préféré laisser mon texte inchangé.

[۴]. J’ai découvert, quelques semaines plus tard, tout à fait par hasard et avec une grande surprise, que J. A.  Miller avait utilisé cette expression quelques années auparavant. Cela m’était resté à l’état latent  pendant tout ce temps, le temps pour comprendre.

[۵]. Dans « La Lettre mensuelle » n°۱۷۶, Génie Lemoine raconte une histoire d’éléphant. Elle dit qu’elle était inventée (!) par un conteur africain bien connu en France Tokoto Ashamati. Eh bien, cette histoire vient du «Masnavi de Mowlavi », écrit il y a plus de sept siècles. Seulement dans le Masnavi elle est            plus belle et pleine de sagesse. Justement, la sagesse dont il s’agit est de démontrer que la vérité est pas toute.

 

Source: La Règle du Jeu

منبع: La Règle du Jeu

 

«تاریخ خُرد[۱] روان کاوی در ایران»


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  تاریخ انتشار: ۴ مرداد ۱۳۹۴، ساعت: 21:46