L'inconscient héréditaire
نویسنده: میترا کدیور
L’Inconscient Héréditaire
Par Mitra Kadivar, psychanalyste à Téhéran, membre de l’Association Mondiale de Psychanalyse
I- HISTOIRE
Il y a peu de gens en France qui savent pourquoi l’emblème de la France est un coq et pourquoi le cri de la victoire des Français est le cocorico. Ceux qui le savent sont ceux qui connaissent bien l’Histoire et surtout l’histoire des religions. Ces histoires remontent tellement loin dans le temps qu’elles sont presque confondues avec l’histoire de l’apparition de l’Homme, proprement dit, sur la Terre. On serait même étonné, si on n’était pas freudien, du fait que ces histoires et ce savoir puissent avoir une longévité si incroyable.
Pour Hegel «le principe de l’évolution commence avec l’histoire de la Perse ; cela constitue strictement le commencement de l’histoire du monde»(۱).
Ici une petite précision s’impose. La Perse est le nom donné par les Grecs à l’Iran, de la même façon que les Iraniens ont appelé – et appellent toujours- la Grèce au nom de Ionan. Ce sont des appellations interethniques. Les iles Ioniennes en sont des vestiges. Il paraît qu’il existe toujours en Grèce un dialecte ionien, sans parler de l’école ionienne de la philosophie. Le dictionnaire indique «on pense que les Ioniens furent parmi les premiers envahisseurs du territoire grec»(۲), mais il n’indique pas d’où ils sont partis pour envahir ce territoire.
Le mot tribut est la` pour indiquer qu’il y avait des tribus qui devaient payer ce tribut a` la tribu dominante qui, a` l’époque de la Grèce antique, était la tribu Pars en Iran. Cela indique aussi que l’Empire Perse, comme l’Empire Mèdes et l’Empire Kay (3) qui le précédèrent, était une fédération de royaumes autonomes mais tributaires (4). Voyez-vous d’où vient le nom de Royaumes-Unis (au pluriel)? Ah, c’est Jacques-Alain Miller qui m’a donné l’envie de parler des Empires (5).
Freud soutient, dans son Moise et le monothéisme, que pour avoir un empire il faut avoir un seul dieu. Ce qui explique que les Grecs polythéistes n’ont jamais eu un vrai empire. En revanche les Romains mithraïstes ont réussi à en former un. A` l’époque de l’Empire Perse le zoroastrisme, le monothéisme d’Ahura-Mazda – qui cache mal le dualisme Lumière-Ténèbres -, s’était érigé en religion des monarques.
Cela explique aussi la très grande différance qu’il y a entre un empire et la colonisation. Les empereurs de jadis étaient les garants d’un ordre social acquis au prix de plusieurs millénaires de sublimation et de renonciation a` la satisfaction des instincts, et non pas des serviteurs du veau d’or et de jouissances immédiates (6).
Donc le tribut était en réalité une contribution au maintien de cet ordre par celui qui en était capable. D’où le titre du « Grand Roi » décerné par les auteurs grecs au roi de Perse. D’où aussi le fait que Cyrus le Grand est cité vingt trois fois dans l’Ancien Testament au titre du « Sauveur » du peuple juif ; il était le roi des rois du plus grand empire de toute l’histoire qui unifiait 45% de la population mondiale.
Je vous épargne la suite de l’histoire du mot « Perse » après l’arrivée, pas tout a` fais paisible, de l’islam en Iran.
La décision du gouvernement iranien d’exiger formellement du monde entier de ne plus appeler l’Iran la Perse, a` partir du premier jour du printemps -jour de l’an iranien – de 1935, avait surtout pour but d’empêcher de réduire l’identité iranienne a` ce fantasme mille-et-une-nuitesque.
Avant d’aller plus loin je tiens à rappeler que pour Freud la psychanalyse est aussi une méthode de recherche.
Revenons à notre coq.
Dans l’antiquité iranienne, il y a plusieurs millénaires, le coq était un animal sacré. C’était lui qui chaque jour, longtemps avant l’aube, apportait aux hommes la nouvelle rassurante, ou même l’oracle, du retour du soleil. De ce fait cet animal sacré est devenu l’animal totémique d’une tribu au nom de Guil. Les Guils vivent toujours dans une région au nord de l’Iran d’aujourd’hui – qui est beaucoup plus restreinte que jadis – dans une province au nom de Guilan. C’était les membres de cette même tribu qui ont émigré de leur terre ancestrale pour se loger, au bout de plusieurs dizaines de générations, en France.
Ai-je besoin de rappeler qu’un ordre des oiseaux s’appelle les Gallinacés et qu’on a sur la carte du monde un Pays de Galles, sans parler des mots Galice, Galicie, Galatie et Gaule ?
Étant donné que le culte des ancêtres est beaucoup plus ancien que le monothéisme d’Ahura-Mitra – la déesse Soleil – et que ce dernier existait déjà en Iran il y a au moins sept millénaires, on aura du mal a` préciser l’âge exact de ce culte des ancêtres.
Ce culte a survécu non seulement la période, très étalée, du mithraïsme en Iran, qu’il a même survécu le zoroastrisme et même l’islam ; puisqu’on a un dicton tres étrange en persan qui dit « qu’est-ce que je crois la queue du coq(7) ou ton serment sur Hazrat-e-Abbas ? ». (Hazrat-e-Abbas est une figure tres éminente chez les shiites).
Ce dicton veut dire que longtemps après que l’Iran est devenue musulmane, après avoir passée par d’autres religions monothéistes, le culte des ancêtres continuait à survivre en Iran.
II- FAIT DIVERS
Jusque la` on était dans l’Histoire. Ce qui me permets de passer a` Freud c’est un fait pas tellement divers.
Le jour ou` j’ai lu, dans Internet, qu’un homme du pouvoir était accusé de la tentative du viole aux États-Unis, j’ai pensé « encore un autre homme politique qu’on essaye d’éliminer par ce moyen ». Mais le lendemain je lis, toujours dans Internet, que cet homme du pouvoir est un Français. Ce « détail » change tout pour moi et je me mets à lire la full story de cette affaire. Après l’avoir lue qu’est-ce que je pense ? Je pense « l’acte suprême de la coquerie a` deux pas d’atteindre le sommet ! ». (Par la coquerie je veux dire faire comme un coq).
Je dois insister que la` je suis en train d’analyser mes réactions et mes réflexions propres sans me permettre, bien sûr, de me mêler de ce qui est en dehors de mes compétences, c’est a` dire la Justice. (D’autant plus que l’une des avocats de l’accusé a déclaré, très tôt, a` la presse qu’ils avaient contacté la famille de l’accusatrice en Afrique et qu’elle était sûre que tout irait bien).
Ceux qui ont l’habitude, pour des raisons divers, de consulter Internet pour s’informer savent que pour chaque news il y a une partie pour les comments. Dans cette partie quelqu’un avait écrit “how anybody can be so stupid, especially in America?”, et j’ai pensé à «l’inconscient héréditaire » de Freud. Se régler sur le comportement de son totem est ce qu’il y a de plus naturel dans le monde, puisqu’on s’identifie à lui.
Le fait devient encore plus épatant quand je rencontre, toujours dans Internet, un article parlant d’un livre qui vient de paraître en France, écrit par une journaliste américaine vivant dans ce pays. Le livre a pour nom « La Séduction… ». L’écrivaine y explique comment on retrouve le mot «séduction » partout et pour tout en France. Elle raconte qu’elle avait même rencontré un garage du mécanicien qui avait pour nom «Auto-Séduction » ! Quand elle demande au mécanicien pourquoi il a choisi ce nom, il répond « je dois avouer que le nom « Auto-Prestige » (sic) avait déjà été prit» !!!
On est bien loin de la stupidité, on est dans le royaume du prestige. Ce n’est pas une connerie c’est une « coquerie ». Pour le dire a` la façon lacanienne on est dans le domaine de l’injonction surmoïque de « Jouis ! ». Jouis à la façon d’un coq.
Je me demande a` quel point les mots coquet et coquette sont en rapport avec notre coq?
Il y a un autre fait qui soutient les choses que je viens d’avancer.
Dans les plaisanteries interethniques qui existent en Iran, les plaisanteries qui n’offensent personne, il y en a beaucoup qui ont pour le sujet « l’impotence » des hommes Guils. Je ne sais pas si cette impotence des plaisanteries existe dans la réalité aussi. Je sais seulement que les hommes Guils sont parmi les hommes les plus civilisés en Iran, surtout dans leur comportement envers les femmes. Cela me permet de faire l’hypothèse de l’existence d’un refoulement très puissant à l’endroit de « la coquerie » chez eux. De nos jours dans la région de Guilan l’expression « l’adorateur du coq » est une injure.
Par ailleurs c’est aussi un fait incontestable que les hommes les plus galants se trouvaient en France.
C’est vertigineux de retrouver encore la racine « gal » dans le mot galant.
Le dictionnaire nous indique en plus qu’autant le mot galant a un sens positif, autant le mot galante a un sens négatif. Pour nous dire, une fois de plus, que la relation homme-femme n’est pas faite de la réciprocité. Le génie intarissable de Freud n’a d’autre définition de la féminité et de la masculinité que de parler de la position passive et de la position active. Lacan nous permet de rallonger juste un peu ces définitions et dire: la position passive de la jouissance féminine et la position active du désir masculin.
III- PSYCHANALYSE
Mais en quoi l’Histoire, la linguistique et le fait divers ont un rapport avec le titre de ces Journées : La praxis lacanienne de la psychanalyse?
Le rapport est la constatation douloureuse de ce fait que dans l’état actuel de la praxis psychanalytique aucune analyse, lacanienne ou pas, ne peut atteindre ces couches si profondes de l’inconscient.
Pour moi il n’y a pas de doute qu’il existe un inconscient héréditaire, comme Freud l’a affirmé. Mais c’est quoi au juste cette inconscient héréditaire? C’est l’hypothèse que toute l’Histoire de l’humanité existe, d’une façon comprimée, dans l’inconscient de chaque individu.
Freud tout au long de son oeuvre avance des définitions différentes de l’inconscient qu’on peut ranger sous trois rubriques que j’appellerai trois « couches»(۸):
۱- Une couche superficielle qui est les petits racontars sur « mon papa, ma maman », c’est a` dire le mythe individuel du névrosé, et qui constitue le véritable calvaire de notre vie professionnelle a` nous, les praticiens de la psychanalyse. C’est cette couche qui est, à proprement parler, le discours de l’Autre.
۲- Une couche intermédiaire qui est faite de cette Histoire en comprimé. C’est la` ou` pour Freud se loge le refoulement originaire. En termes lacaniens j’oserais l’appeler « l’inconscient structuré par une langue archaïque»(۹). Ce serait « le chapitre censuré de l’Histoire » en opposition de la première couche qui est « le chapitre censuré de mon histoire».
۳- L’inconscient réel. Eh oui!
IV- ANTHROPOLOGIE
Mais c’est quoi au juste cette Histoire en comprimé de l’humanité?
Le mot humanité peut prêter à la confusion. L’anthropologie nous apprend que « lors de la dernière période glacière l’Homo sapiens succède au Presapiens et qu’a` la fin de la période Pléistocène (âge glaciaire) les grandes races humaines font leur apparition sur Terre »(۱۰). Pour une partie des anthropologues il y a quatre races : Mongoloïde, Europoïde, Négroïde et Australoïde (11). Je fais l’hypothèse que chacune de ces races ont leur histoire propre, pour pouvoir m’appuyer sur l’affirmation de Freud.
Ce qui est très important a` noter est le fait que l’histoire de toutes les races commence par le culte des ancêtres et que la longueur de l’histoire particulière de chaque race est la distance qu’elle a prise, avec les vicissitudes singulières de son trajet, par rapport a`ce point du départ. De ce fait l’histoire coïncide avec l’histoire des religions. (Je réserve, judicieusement, le mot Histoire pour l’époque ou` un peuple a déjà inventé ou adopté un calendrier).
J’avance avec d’autant plus d’assurance ce que je viens de dire –nommément la coïncidence de l’histoire avec l’histoire des religions – que j’ai une preuve que Freud était du même avis que Hegel. Il écrit dans une lettre à Fliess (du 4 Juillet 1901) : « Avez-vous lu que les Anglais ont excavé un palais ancien en Crète (Knossos) qu’ils déclarent être le labyrinthe authentique de Minos ? Il paraît que Zeus était originairement un taureau. Il paraît, aussi, que notre propre Dieu, avant que la sublimation provoquée par les Perses prenne place, était aussi adoré en tant qu’un taureau. Cela fournit de la nourriture pour toutes sortes de réflexions…».
Incidemment, voyez-vous pourquoi le peuple de Moise quand il veut nier le Dieu d’Akhenaton il retourne a` adorer un veau, en or évidemment? En or, parce que le vrai taureau, le totem, avait été sacrifié a` Mithra par le roi Faridoun quelque trois milles ans auparavant. C’est précisément cela la sublimation provoquée par les Perses.
Je retourne aux nominations anthropologiques. On voit a` quel point les deux premières, Mongoloïde et Europoïde, sont erronées. Aux États-Unis ils ont adopté, a` leur usage propre, les mots suivants qui sont beaucoup plus justes : Asian, Caucasian, Africain-American, Native-American. Bien sûr il faut toujours garder la cinquième catégorie qui est Australoïde, pour notre usage à nous.
La première fois que j’ai rencontré ce mot Caucasien j’ai su instantanément que les ethnologues américains en savaient beaucoup.
Mais qui sont vraiment ces Caucasiens?
Dans la préhistoire iranienne la montagne Kaof, nommée plus tard les montagnes Qafqaaz (Caucase), était considérée la fin du monde habitable (12). Il y avait quelques tribus qui habitaient la zone en-deçà de cette limite absolue, parmi lesquelles la tribu Guil. Il y a quelques six milles ans une première partie des membres de ces tribus a osé traverser cette limite infranchissable à la recherche de nouveaux pâturages. Ils n’ont jamais soupçonné qu’ils avaient découvert un nouveau continent. Comment ils l’auraient fait, puisqu’ils n’avaient traversé aucune mer. Le mot Eurasie l’indique bien. Ils ont appelé le nouveau territoire la « Terre d’Eur ». Eur et Our (Ur) sont d’autres prononciations du mot Ahura ; de même que l’aura des épileptiques, le hourra (13) des marins et, comme dérivés, l’aurore du soleil, l’aurique des militaires, les houris (14) du Paradis, l’auréole des saints et eurêka et l’heuristique des scientifiques.
V- GEOGRAPHIE
Il y a en plus un fait extraordinaire que personne n’a jamais remarqué et qui a été laissé a` la charge de la recherche psychanalytique de s’en occuper. Ce fait extraordinaire est qu’une petite région en-deçà des montagnes de Caucase – au nord ouest et une partie de l’ouest de l’Iran ou` se trouve les ruines du plus ancien temple du monde – cette région s’appelle Euroma et que la très vaste région qui est au-delà de ces montagnes s’appelle Europa! (15)
Je retourne à l’inconscient héréditaire. J’avance l’hypothèse, fondée dans Freud(16), qu’aucune analyse ne peut être considérée «finie» que quand elle a pu atteindre l’inconscient réel, après avoir traversé toute la couche de l’inconscient héréditaire. J’ai aussi rappelé l’affirmation de Freud concernant la nature de cet inconscient qui ne serait que l’histoire comprimée d’une race humaine spécifique (au lieu de l’humanité entière). Il me reste à essayer de démontrer par quels moyens on peut atteindre cet inconscient héréditaire.
Eh bien, je crois que je l’ai déjà fait : par les voies que Freud et Lacan nous ont déjà indiquées, c’est à dire l’histoire des religions et la linguistique.
Malheureusement nous ne sommes pas assez souvent a` la hauteur de l’exigence de nos maîtres, jamais suffisamment linguistes en tant que lacaniens et jamais suffisamment historiens en tant que freudiens. La plupart du temps nous sommes hystoriens au lieu d’historiens et linguisteraires au lieu de linguistes. Nous avons brûlé les étapes.
VI- LINGUISTIQUE
Un autre fait incontestable, et hautement considérable, est que la quasi-totalité des psychanalyses du monde entier se déroule dans une langue qu’on appelle, d’une façon erronée, indo-européenne.
Les langues indo-européennes ont leur origine dans la nuit des temps ou` il n’y avait encore ni l’Inde ni l’Europe. Alors pourquoi nous avons décidé de falsifier les choses ? Et ou` se trouve le vaste territoire qui sépare l’Inde de l’Europe ? Ce n’est pas seulement un grand chapitre de l’Histoire qui est censuré, c’est que le refoulement a enseveli une vaste partie de la géographie aussi. Est-ce qu’on serait la` aux alentours du refoulement originaire? Avec Euroma et Europa pourquoi pas?
Le mot juste serait les langues des « Irs ». Ir ou Er est la racine qu’on trouve dans les mots : Iran, Irak, Irlande (Éire), Erevan, Éric, Irène, etc. (17)
Les Irs sont une multitude de tribus habitant, depuis toujours, le plateau iranien et dont une partie des populations a émigré vers l’Inde et vers l’Europe. Ces tribus parlaient, évidemment, des langues différentes mais de même racine. De cette racine commune sont issues les langues suivantes:
۱- Sanscrit, avestique, ancien persan (perse), pahlavi, latin,… comme langues historiques.
۲- Langues appelées indo-européennes, comme langues parlées.(18)
Les censures perpétrées sur l’Histoire, la géographie et la linguistique, portées a` leur extrême dans le territoire originaire, ont pour résultat la perte de la boussole. Une boussole qui permettrait au psychanalyste de conduire son analyse a` travers la couche de l’inconscient héréditaire.
Le sujet qui est supposé savoir – et interpréter – ne sait pas assez. Le résultat : on reste au niveau du mythe individuel du névrosé qui est souvent une construction spécialement stupide – c’est rare qu’on fasse de la poésie -, ou de quelques acrobaties dans le domaine de jeux de mots.
Quand je dis que Freud ne s’est donné que cinq ans pour faire le tour complet du signifiant et passer a` autre chose, cette autre chose comprend aussi bien son Totem et tabou, qu’il qualifia son meilleur travail écrit en1921 (SE, XIII, xi), et qui précède de peu son Pulsions et avatars des pulsions.
Je donne un dernier exemple ; encore un fait que personne n’a jamais remarqué.
Aux États-Unis, les enfants appellent leurs parents biologiques par les mots dad et mom. Eh bien, dans la langue persane contemporaine le mot «dad» désigne un animal sauvage, surtout un grand prédateur, et le mot «mom» est, presque toujours, utilisé dans l’expression « mom de la patrie ». C’est a` dire que dad et mom désignent les parents ancestraux : le totem et la terre natale(19).
Pour designer les relations parentales on a, en persan, les mots « pedar » et « madar », équivalents de father et mother. Les parents biologiques sont appelés par les mots « baba » et « nana », ce dernier s’étant transformé en « maman » français dans les régions urbaines.
Alors quand on appelle ses parents biologiques par les mots qui désignent les parents ancestraux on donne l’exemple incontestable de la compression de plusieurs millénaires. Jusqu’ a` quel point une telle confusion peut avoir des effets psychotisants, je me le demande?
VII- MYTHOLOGIE
Je conclus, en ce qui concerne la praxis lacanienne de la psychanalyse, en posant une question. Mais vraiment pourquoi la quasi-totalité des psychanalyses du monde entier se déroule dans une langue «indo-européenne» dont le nom même est falsifié ? La réponse ne serait pas qu’aucun autre peuple ne s’est imposé autant de refoulements, aucun n’est aussi ignorant de son histoire au sens de Freud?
Déjà le calendrier mondial est un retour du refoulé, avec le commencement de l’année par la « naissance » du soleil et le Sunday comme le jour de Dieu. Les mots septembre, octobre, novembre et décembre montrent qu’ils étaient le septième, le huitième, le neuvième et le dixième mois de l’année, jadis.
Je m’amuse tellement de voir l’humanité entière d’être si convaincue qu’elle est en l’an 2011. Deux milles onze ans depuis quoi ? Quand on a commencé la falsification il n’y a pas de raison de s’arrêter (20). Ce n’est pas que les dentistes, dans l’expression de Lacan, qui sont rassurés de l’ordre du monde.
Oh, bien sûr que le rapport sexuel n’existe pas, mais cela n’a jamais posé un problème aux humains pendant des millénaires. Au moins pas avant que Euroma ne cède entièrement la place a` Europa (21). C’est a` dire du moment où les philosophes ont réussi a` oublier qu’au commencement ils n’étaient que les amoureux de la sophie. Lacan parle carrément de la trahison et de cette sagesse qui n’a abouti qu’à un savoir théorique (22). Mais les sufis sont la` pour résister a` l’oubli : sufi-sophie.
Si on la formalise aujourd’hui, cette inexistence-la`, c’est parce que l’on n’était jamais aussi dépourvu de mythes pour couvrir et découvrir le réel (23). Les «Indo-Européens» étaient bien obligés d’en inventer un. Et ils ne peuvent qu’aller jusqu’au bout de tous leurs mythes refoulés pour atteindre leur but. N’oublions pas la leçon de Freud : la psychanalyse est une science comparable à l’embryologie.
Évidemment il vaut toujours mieux d’avoir un mythe qu’un délire, puisque faire couple n’est qu’un délire « europoïde ». Il suffit de mesurer la distance qui sépare une tradition, dont nous parle Freud dans son Totem et tabou, qui interdit au «couple» de même manger ensemble, de ce grotesque qui les oblige a` dormir dans le même lit, même ceux qui ont entendu parler du narcissisme du sommeil, grâce a` Freud. La même distance qui sépare le guerrier splendide qui éblouit tout seul du cadre supérieur qui a besoin de son «pèse-personne» pour un pitoyable «donner a` voir». Ce couple qui s’obtient aux prix de l’abolition du «Jouis avec la femme que tu aimes » de l’Ecclésiaste. Voyez-vous, s’il y a du jouir c’est avec et non pas de. Si on reconnaissait la jouissance féminine, en termes de droit, on ne songerait jamais a` faire couple avec elle, on se contenterait d’en être amoureux. C’est l’exploit de la poésie persane.
« Ce qu’a` la limite l’hystérique veut qu’on sache, c’est que le langage dérape sur l’ampleur de ce qu’elle peut ouvrir, comme femme, sur la jouissance. Mais ce n’est pas ce qui importe à l’hystérique. Ce qui lui importe, c’est que l’autre qui s’appelle l’homme sache quel objet précieux elle devient dans ce contexte de discours. N’est-ce pas la`, après tout, le fond même de l’expérience analytique?». (۲۴)
C’est pourquoi le mythe en question a pris la forme que nous connaissons ; l’hystérique aussi a résisté, comme le sufi et le poète.
Et bien sûr que la psychanalyse se range du côté de la magie, comme Lacan l’a dit ; puisque la magie c’était ce que faisaient les mages : les prêtres suprêmes du mithraïsme. Et, si le nouveau mythe comporte quelques espoirs en lui c’est parce que il devra, a` la fin des fins, déboucher sur Euroma.
Le 10 juin 1970 Lacan prononce : «Ce ne serait pas mal si l’analyse vous permettait d’apercevoir a` quoi tient l’impossibilité, c’est a` dire ce qui fait obstacle au cernage, au serrage de ce qui, seul, pourrait peut-être au dernier terme introduire une mutation, a` savoir, le réel nu, pas de vérité.».
Pour moi cela signifie qu’il fait bien la différance entre ce qui pourrait introduire une mutation – et qui est impossible a` cerner – et la fabrication des virtuoses de la vérité, des mythomanes. Pas pour vous?
Pour ce qui est «la coquerie» je conclus en disant : Dieu, celui qui fait la syntaxe « Dieu et la jouissance de La femme» (۲۵), créa la joie – je ne dis pas l’amour -, pour que la relation homme-femme ne soit pas un pur passage a` l’acte. En fait «être joyeux de quelqu’un» ne passe précisément pas par l’acte.(26)
Et je termine par, encore, un verdict des sufis:
Devant les sots il faut se taire
Devant les sages il faut se taire
Sauf si ce que vous avez a` dire vous brûle (*)
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(۱)- Encyclopaedia Iranica; www.Iranica.com; from Philosophy of History
(۲)- Petit Larousse ; Ionie
(۳)- CF: l’Avesta. CF: Webster’s Dictionary; Kay, Kaiser.
Aussi le nom d’un des empereurs de cette dynastie était Kayus (en pahlavi, Kavus en persan, Kay Us en sanscrit), quelque deux milles ans avant Caligula.
(۴)- Dans les empires iraniens le Chahanchah (littéralement : roi des rois) n’avait de légitimité que s’il avait obtenu le consentement d’un hangamane (sénat) constitué par tous les rois de cet empire. Jamais une filiation a` elle seule n’assurait l’accès au trône ; la succession spontanée de père en fils/fille n’existait pas. Et même dans la filiation ce qui comptait ce n’était pas tellement le père biologique mais le père ancestral. C’est pourquoi la filiation de la mère aussi entrait en jeu.
(۵)- Miller, Orientation lacanienne, 6/4/2011
(۶)- Un empire avait les mêmes traits que le groupe freudien ; il y avait des quantités énormes de la libido qui y circulaient et des identifications massives qui s’y consolidaient.
(۷)- Je ne sais pas s’il s’agit d’un ornement ou d’un véritable coq caché quelque part.
(۸)- Freud a bien parlé de« couches » en d’autre contexte qui est plus ou moins superposable a` celui-ci.
(۹)- Dans la région de Guilan en Iran il y a un bourg qui s’appelle Lacan, plutôt dans sa prononciation anglaise, et plusieurs endroits dont le nom est une combinaison avec le mot Calais. Ces deux mots – Lacan et Calais – avaient sûrement un sens dans une langue archaïque dont personne, ni en Iran ni en France, ne se souvient plus.
Et le nom Miller qui a donné a` notre Jacques-Alain l’envie de faire mille choses a` la fois ou de mettre dans le mille ? Eh bien, Miller vient bien du mot mille, mais celui qui est une mesure itinéraire et qui reste toujours en vigueur dans les pays anglophones sous le nom de mile. Cette unité de distance, dans les routes iraniennes, était marquée par les milles : les poteaux de repère en pierre ou en briques. Il en reste encore une centaine en Iran dont la plupart a` l’état de ruine. Ces milles portent toujours le nom d’un roi : celui qui en a ordonné la construction ou la réparation.
Est-ce bien étonnant que notre Miller fasse de l’Orientation, lacanienne en conséquence, sa vie ?
Un autre mot pour le mille, en persan, est le farsangue, qui veut dire littéralement « éclairage (venant) de la pierre ». Et Miller parle explicitement d’Éclair, page V d’Un début dans la vie. Pur hasard ?
Faut-il ajouter que le mot « phare » vient du farsangue et qu’il en est strictement équivalent ? (Pour plus de précision sur le mot far veuillez vous référer a` la note 21).
Freud affirme dans son etonnant postscript du cas Schreber: “This short postscript… may serve to show that Jung had excellent grounds for his assertion that the mythopoeic forces of mankind are not extinct…” (SE, XII, 82). Il dit en plus que Schreber “ has rediscovered the mythological method… » (Ibid., 81), ce qui souligne que cette méthode est a` redécouvrir.
(۱۰)- Atlas Historique, édition : France Loisirs, 1988, P.9
(۱۱)- Ibid.
(۱۲)- Ce qui était tout a` fait vrai, parce que l’au-delà de ces montagnes était encore couvert des couches très épaisses de la glace résiduelles de l’âge glaciaire.
(۱۳)- Dans la langue persane contemporaine le mot Hour est un des noms du soleil et « A » est une interjection équivalente a` « Ô ! » français. C’est a` dire que Hourra veut dire littéralement « Ô ! Soleil ».
(۱۴)- Les vierges perpétuelles ce sont précisément des femmes sur qui la jouissance phallique ne laisse aucune trace.
(۱۵)- Si ce que je dis la` vous apparaît bizarre c’est que vous êtes tout a` fait a` la page ! J’essaye de faire un « témoignage » sur l’inconscient héréditaire. Au lieu de parler de mon histoire je parle de l’Histoire au sens de Hegel.
Aussi pour compléter cette Histoire je précise que les régions de Galatie et de Ionie se trouvent en Asie Mineure pour indiquer que la grande migration s’est faite en plusieurs directions et en étapes successives.
(۱۶)- “Granted that at the time we have no stronger evidence for the presence of memory-traces in the archaic heritage than the residual phenomena of the work of analysis which call for a phylogenetic derivation, […]. The audacity cannot be avoided.” (Freud, Moses and monotheism, SE, XXIII, 100).
(۱۷)- Au fait, vous vous êtes jamais demandé pourquoi le personnage dans le « Mythe d’Er » de Platon s’appelle justement Er ?
(۱۸)- Lacan indique, dans la page 65 du Séminaire L’envers…, que « Chacun sait que l’ambigüité des racines en anglais prête a` de singuliers évitements ». Si ces racines posent un tel problème c’est parce que personne ne sait ou` vraiment doit les chercher. Si on essayait du côté de la langue pahlavi le problème serait résolu. Évidemment il y a des spécialistes qui le savent, mais ils n’ont pas la permission de le divulguer. Falsification oblige. Probablement la première conséquence de cette divulgation serait un coup dur à cet eurocentrisme, dont se moque Will Durant dans son Our Oriental Heritage, que la langue de la mondialisation soit d’origine orientale. Il parle du « provincialisme de nos histoires traditionnelles qui commencent avec la Grèce et qui résument l’Asie en une ligne » (Wikipedia).
(۱۹)- J’imagine que le fait d’avoir abandonné la terre natale, la mère ancestrale, ne pouvait pas avoir été sans effet sur le psychisme des émigrants vers Europa. Surtout que les ossements des générations précédentes étaient enterrés dans cette même terre que les âmes (faravahars) de ces morts surveillaient sévèrement ; ce qui rendait a` cette terre un statut sacré. Les historiens se cassent la tête pour savoir pourquoi ils retournaient périodiquement sur cette terre pour y commettre des atrocités, tellement ces guerres leur apparaissent sans fondement. La profanation n’entre pas dans leurs considérations. C’était bien avant l’apparition de la civilisation grecque.
(۲۰)- Je vous fais remarquer que « la coiffure liturgique de l’officiant dans les cérémonies pontificales », d’après Petit Larousse, s’appelle toujours la mitre (mitra en latin), sans même le « h » introducteur de la confusion. Aussi le plus grand et le plus prestigieux temple de Mitra dans l’Empire romains se trouvait a` l’emplacement du Vatican d’aujourd’hui. C’est pourquoi les historiens dignes de ce nom utilisent maintenant les abréviations suivantes : CE (Common Era) au lieu de AD (Anno Domini) et BCE (Before Common Era) au lieu de BC (Before Christ).
(۲۱)- Chez les Romains Ahura-Mitra se transforme en divinité masculine ! En plus, n’est-ce pas quand même bien étrange qu’on sache tant sur la mythologie grecque mais absolument rien du tout sur la mythologie «romaine» ? C’est justement la` qu’on perd son latin. Mais le fait que Louis XIV se fait nommer le Roi-Soleil indique qu’au moins jusqu’à son époque on en savait encore des bribes.
Savait-on aussi que déjà le mot roi veut dire «rayon (du soleil)» (ray en anglais), comme le rex latin (et anglais) et le rey espagnol ?
Et le Ra égyptien, quelle est son origine ? Eh bien, il est la dernière syllabe des deux mots Ahura et Mitra. Comme Freud nous a si bien expliqué, dans son Interprétation des rêves, quand deux syllabes homophones qui ont une tonalité faibles (lettres minuscules) se superposent dans le rêve elles construisent un phonème avec une tonalité forte (lettres majuscules) ; ce qui fait qu’il faut écrire RA au lieu de Ra. Dieu sait que les égyptiens étaient des maîtres incontestables en matière de l’interprétation des rêves, aussi bons que les mages.
Ce qui soutient mon hypothèse au sujet de la tonalité est qu’en persan contemporain le mot « ra’d » veut dire tonnerre mais il est plus que probable qu’il était un mot qui désignait l’éclaire, jadis, comme l’adjectif radié (du latin radius, rayon) le montre. (De nos jours le même glissement de la lumière vers le son s’est effectué du mot latin «radius» a` l’appareil «radio»). En persan le mot «rad» signifie roi. A noter la différance de la tonalité entre rad et ra’d.
Et, justement, c’était l’existence de ce rayon (farra) qui devait être prouvée et approuvée par le sénat des rois pour élire le roi des rois. Encore un ra dans farra. En fait farra (far-ra) signifie spécifiquement le rayon que le roi Faridoun a reçu de Mitra après lui avoir sacrifié le totem. Faridoun est donc un surnom qui signifie littéralement «Rayon-Tel», un tel rayon. Et qu’est-ce que vous pensez au sujet du farra et du pharaon?
Je dois ajouter que l’ancien nom de Téhéran était Ray (Rey). Il est remarquable a` noter que Ray avait été entièrement détruite par Alexandre (le Grand !) pour construire, sur ses ruines, une autre ville : Europos (sic) ! Il est encore plus remarquable qu’Europos s’est mise en ruine sans l’aide de personne et que Ray a repoussé, sur ses ruines, comme si rien n’était arrivé. Cette tentative d’éradication a laissé ses traces dans la langue : bien curieusement nous avons du nom « radius » le verbe « radier » et du nom «ray» le verbe «rayer» ! Le zèle de la langue française est exemplaire ! N’empêche que Ray a repoussé d’Europos et irradier de radier.
En fait ce n’était qu’aux «temps modernes» que Ray, la ville sainte, a finalement cédé la place a` une autre, Téhéran, qui n’était qu’un des villages de sa périphérie. Oui, les temps modernes, le nouveau totem, la régression de la sublimation provoquée par les Perses.
Dans Moise et le monothéisme (SE, XXIII, 24) Freud fait part de sa déception de voir que malgré toute l’exubérance de l’art de la période Amarna en Égypte le dieu Soleil soit représenté simplement et prosaïquement par un disque rond avec des rayons émanant de lui qui se terminent en forme de la main humaine. Cette déception trouve son explication dans le fait qu’un esprit aussi génial que Freud croit fermement que le dieu Soleil est vraiment égyptien (c’était la vogue de l’égyptologie). S’il avait soupçonné un instant que ce dieu était d’origine « indo-européenne », lui, qui était médecin et multilingue, n’aurait eu aucune peine a` s’apercevoir que le mot latin radius a deux sens : rayon et (l’un des deux os de) l’avant bras. En plus il aurait deviné que trois milles ans avant la période Amarna l’art n’était pas aussi exubérant, ni en Égypte ni nul part ailleurs. En revanche, je suis sûre, il se serait posé la question « pourquoi le même mot désigne et le rayon et l’avant bras ? ». Peut-être il se serait même posé la question « pourquoi le mot anglais arm a trois sens : le bras, l’arme et l’emblème ? ». Arm dont nous avons le mot army : les gens qui « se ressemblent comme des frères » que Lacan a vu en Égypte (S18, 176).
(۲۲)- Lacan, L’envers de la psychanalyse, P.22
(۲۳)- Miller, Orientation lacanienne, 11/5/2011
(۲۴)- Lacan, L’envers de la psychanalyse, P.37
(۲۵)- Lacan, Encore, P.61
(۲۶)- « … la` ou` l’accent est mis par la théorie freudienne, c’est qu’il n’y a que le phallus a` être heureux – pas le porteur dudit. Même quand, non pas par oblativité, mais en désespoir de cause, il le porte, le susdit, au sein d’une partenaire supposée se désoler de n’en être pas porteuse elle-même. ». (Lacan, L’envers de la psychanalyse, P.84)
(*)- Mitraillade ou plutôt Mitra-yad veut dire littéralement le rappel de Mitra qui était aussi la déesse Garante des pactes. Du fait si un mortel osait briser un pacte le rappel de Mitra était la` pour anéantir tout ce qui lui était cher, a` travers une guerre sans merci déclenchée par les trahis. Les empereurs de jadis étaient justement les procureurs de la Garante des pactes. Même après l’apparition du zoroastrisme on n’a pas osé toucher a` la place de Mitra comme la Garante des pactes, elle est devenue la Garante du pacte même entre Ahura-Mazda et Ahriman ! J’ajoute seulement qu’en tant qu’analysant on ne peut que produire des signifiants maîtres (Lacan, S18, 61).
Source: LQ263
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