Philippe Bouret: Mitra Kadivar ou l’incision du calame par Philippe Bouret
Jacques-Alain Miller nous invite, dans un texte du 11 février 2011, à étendre l’éducation freudienne à tous les peuples et ceci, à partir de l’Université populaire de psychanalyse Jacques Lacan (créée le 8 novembre 2009) : « …comme nous y engage – dit-il – l’exemple de Mitra Kadivar en République islamique d’Iran. Les religions ont bien réussi à orienter l’humanité vers des divinités d’utilité douteuse, et dont l’existence est sujette à controverse. Pourquoi reculer devant la notion d’humanité analysante ? Ce n’est pas pour demain, je vous le concède – mais après-demain ? Tomorrow the world »
Chère Mitra Kadivar, vous incarnez déjà, j’en suis convaincu, le début de notre après-demain. Surtout quand vous évoquez la poésie et les poètes dans votre intervention au 7e Congrès de l’AMP en avril 2010, à Paris, sous le titre « De la nécessité des congrès ». Vous savez que la poésie courtoise des bédouins des Ier et IIe siècles s’est éteinte au moment où Dieu est venu occuper la position centrale de la femme, reléguant cette dernière à n’être plus que le jouet d’une autre littérature, grivoise celle-ci. La poésie divine a ravalé l’aimée des Mu `allaqât. Adieu Leila, Magnum est mort et Imru’l’Qays ne te reconnaît plus. Vous dites, chère Mitra Kadivar, ceci : « Chaque poème terminé [vous parlez ici des nouveaux poètes de langue persane] tend à s’effacer le plus vite possible de la page blanche, par modestie » J’ajouterais : « akalat ed’dahro alayi wa sharibat » (le temps les a mangés et les a bus). Mais il y a un reste et ce reste vous en incarnez la vitalité, le courage, la grandeur. Grâce à vous, les nouveaux poètes de la langue persane ont un avenir, la psychanalyse aussi. Pourquoi ? Parce que la notion d’effacement et sa fonction ont toujours été au cœur de la culture moyen-orientale et arabo-musulmane pour ce qui est du lien au savoir. « Je revois les doigts de ma mère – écrit Mano Dayak – voltiger pour tracer dans le sable des signes géométriques. Elle faisait une pause, effaçait de la main ce qu’elle avait écrit et me demandait de répéter ses gestes […] Elle griffait le sable de ses doigts de joueuse d’Imzad. À peine avais-je le temps de m’étonner qu’elle effaçait ce qu’elle avait écrit pour composer de nouveaux caractères. Combien de fables et de balades se sont ainsi envolées sous l’aile de sa main ou bien au vent des dunes ? » (1) Le texte prend consistance de son effacement-même et l’acte de dire ne doit sa frappe qu’à l’éternel instant subjectif duquel il jaillit. La poésie n’est-elle pas cette arme, cette âme des guerriers du temps de la Jahillya parvenant seule à départager vainqueur et vaincu sans que goutte de sang ne soit versée. Votre dire (el-qaal), chère Mitra Kadivar, vos textes, je les reçois comme la trace d’un effacement que rien ni personne n’effaceront. « Non seulement – dites-vous – une femme peut être le symptôme d’un homme, mais en plus les femmes sont le symptôme par excellence de l’humanité. » (2) À l’instar du poète Muraqqach-el-akbar, je souhaite à mon tour, chère Mitra Kadivar : que vos « traces [soient] comme l’incision d’un calame à la surface de la terre » ! Shuk’ran lakum, inna kâna shuk’rii lâ yujazi alâ f`likum `adha. (1) : Mano Dayak, Je suis né avec du sable dans les yeux , Ed. Fixot, 1996. (2) : Mitra Kadivar, « Qaal ou Haal (dire ou jouir) », La Cause freudienne, n° 76, 4e trim. 2010, p.139.
Mon texte d’hommage à Mitra, que j’ai prononcé à Clermont Ferrand
Philippe Bouret est psychanalyste – membre de l’École de la Cause freudienne et de l’AMP. membre du P.E.N (Poètes, Essayistes, Nouvellistes) Club francais.



shortlink:
https://freudianassociation.org/en/?p=523
Date of Publish: 29 March 2017